Discours d'inauguration et hommage

Un membre de ma famille a donné sa vie durant la seconde guerre mondiale. J'en ai la tristesse mais je mesure l'honneur qui lui a été fait lorsqu'une place de son village natal a reçu son nom alors que tant d'autres combattants ont été et demeureront anonymes. Il s'agit d'un frère de ma grand mère maternelle, tombé lors des combats de la Libération.
Je remercie l'un de mes correspondants internautes de la Marne de m'avoir fait parvenir la photo de la plaque par voie numérique.

Ci dessous in extenso le texte du discours d'inauguration prononcé une fois la paix revenue par le maire de Condé sur Marne :

Mesdames, Messieurs,

A nouveau, il me faut faire revivre des minutes pénibles, mais il est nécessaire que tous ceux qui vivent parce qu'Il est mort, connaissent la vie exemplaire du regretté disparu qui n'a pas hésité à sacrifier sa vie pour faire triompher son idéal patriotique. Son nom restera donc éternel sur cette place, où maintes et maintes fois, il foula le sol, soit pour y jouer dans sa plus grande jeunesse, soit pour rentrer au foyer, lorsqu'adolescent d'abord et homme ensuite, il créait un peu de bonheur, en apportant sa présence au foyer, sa paye, le fruit de son travail à ses chers parents.

Il y a quelques mois nous étions déjà tous réunis pour rendre hommage à Jean Siot, mort pour la Patrie, en donnant son nom à une de nos places. Tout à l'heure, nous nous retrouverons pour honorer la mémoire des morts des deux guerres. C'est que, voyez-vous, à chaque conflit, notre village paie un si lourd tribu à la défense du sol, que nous n'aurions pas assez de rues, et de places pour immortaliser les noms de ceux qui sont tombés pour la France et la Liberté.

Egaux dans le sacrifice, tous réunis dans notre culte du souvenir, il en est cependant dont l'odyssée tragique et glorieuse, est particulièrement marquante au grand livre de l'héroïsme. Tel est le cas de celui dont cette place portera désormais le nom.

Alexandre Batilliot, né en 1908, n'avait que 31 ans, lorsqu'en 1939 il rejoignit sa formation à l'appel du Pays. Comme des centaines de milliers d'autres, dans le triste désarroi de 1940, il fut fait prisonnier. Exil, privations, barbelés, furent donc également son lot. Mais sa dure profession de scaphandrier devait lui valoir de rentrer parmi nous. Il eut pu reprendre tranquillement son métier sans se soucier de la libération du Territoire. Mais dans sa spécialité, c'était surtout l'ennemi que l'on servait directement. Alexandre Batilliot, patriote ardent, souffrait en silence d'une telle situation. Après s'être fondé un foyer, il disparut et nul n'entendit plus parler de lui. Comme tant d'autres menacés ou révoltés, il avait rejoint l'armée des ombres, cette armée rappelant étrangement celle des " sans-culottes " de 1792, cette armée dont les éléments apparaissaient soudain aux points névralgiques de l'occupation ennemie, y jetant la confusion et la peur, créant sur tout le territoire une ambiance d'insécurité, pour les troupes allemandes, cette armée qui dans le beau soleil de la Libération venait de se joindre aux troupes alliées, et aux valeureuses troupes de De Gaulle, Leclerc, et autres de Tassigny. Bien que manquant d'équipement moderne, nos F.F.I traquèrent les allemands qui n'eurent d'autres ressources que de se réfugier dans quelques poches du littoral, où ils s'accrochèrent.

Les troupes Françaises de l'intérieur qui comprenaient le héros que l'on célèbre aujourd'hui, furent chargées d'abord de les contenir, puis de les forcer dans leurs repaires. Il s'en suivit ne nouvelle guerre d'embuscades, et de guérillas au cours de laquelle tomba précisément celui que nous pleurons aujourd'hui. C'était devant St Nazaire. Alexandre Batilliot fut tué d'une balle dans le front. Cette mort que nous connûmes tout de suite, causa la plus vive émotion à Condé où le défunt jouissait de l'estime de tous. Dans une commune, il est des heures où l'on sent davantage la collectivité des esprits et des coeurs, où l'on éprouve mieux que les douleurs des uns sont les douleurs de autres. Nous sommes de nouveau à l'une de ces heures. Pour vous, mes chers enfants de nos écoles, vous qui, comme Alexandre Batilliot seriez prêts aux mêmes sacrifices si la France était de nouveau menacée, vous n'oublierez jamais cette patriotique cérémonie. Vous jurerez de travailler pour que votre patrie soit bientôt relevée de ses blessures, et que dans sa gloire rayonnante, elle continue de marcher à l'avant-garde de la civilisation et du progrès dans l'Union, le Travail, la Justice, et la Liberté.

Inclinons nous devant sa mémoire à laquelle nous associerons celle de tous les volontaires morts pour la France, et présentons à son épouse, à sa maman, qui après avoir élevé une si nombreuse famille, eût tant de soucis pour les siens (un gendre déporté et disparu, trois fils prisonniers derrière les barbelés, une fille tuée par les italiens avec son bébé dans les bras, une autre décédée dans les mêmes moments, son fils Alexandre tué, alors que la Libération était à peu près terminée) nos sentiments de sincères et profondes condoléances et l'assurance de notre cordiale sympathie.

Discours du maire de Condé sur Marne
En 1946

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