Histoire d'une décision de retrait

Puisé dans "La petite histoire de Périgueux", de Robert Benoît, parue en édition originale en 1938 et rééditée à 500 exemplaires par Lafitte Reprints à Marseille en 1979, la délibération du conseil municipal du jeudi 17 novembre 1870 ayant pour sujet le changement de nom de la rue Magne.

"A l'ordre du jour, un membre du conseil, M. Daniel, soumet une proposition ayant pour objet de changer le nom de la rue Magne.

"La plaque portant en lettres d'or le nom de Magne est depuis quelques jours l'objet de protestations et de manifestations qui ont troublé la tranquillité publique.
Monsieur Magne, en quittant son pays après avoir contribué à le précipiter dans l'abîme, a soulevé contre lui la juste indignation du peuple. L'inscription qui recommandait son nom au respect et à la reconnaissance de la population ne doit pas subsister plus longtemps. Il faut qu'elle disparaisse immédiatement".

Monsieur le Maire ne reconnait pas cette proposition à caractère d'urgence absolue. L'examen pourrait être renvoyé à une prochaine séance.

Monsieur Clerveaux ne s'oppose point à ce qu'on discute cette question puisqu'elle est posée mais il regrette que la discussion se produise après les scènes de désordre dont elle a été l'occasion et qu'on ne saurait approuver.

Monsieur le Maire déclare qu'il veut être le premier à manifester son sentiment sur la motion proposée. Il ne se sent aucun goût pour les souvenir de l'empire. Et l'on sait bien que ces affections non plus que ces regrets le rattachent au régime déchu. Mais il croit que le nom de Monsieur Magne est à Périgueux, sa ville natale, populaire à plusieurs titres. Pour la plupart l'inscription qu'il s'agit d'effacer aujourd'hui est l'expression publique d'un simple sentiment de reconnaissance que des bienfaits réels, il faut bien le reconnaitre, justifie suffisamment.

Monsieur le Maire opinera donc que le conseil municipal devrait, en s'inspirant d'un sentiment bien entendu de conciliation, épargner ce modeste monument et éviter de froisser ainsi dans une affection respectable bon nombre de nos concitoyens.

M. Bouillon déclare partager les sentiments exprimés par Monsieur le Maire. Il votera contre la motion de M. Daniel.

M. Lenoir repousse énergiquement ces considérations toutes personnelles : "M. Magne a été le serviteur et le complice du despote déchu".

M. Négrier soutiendra la motion de M. Daniel : "Laissons à l'histoire", dit il, "le soin de juger les actes politiques et la vie de M. Magne; elle saura mieux que nous apprécier à leur juste valeur les services qu'il a rendus à son pays".

Messieurs Roger et Villotte déclarent qu'ils appuieront par les mêmes considérations la motion de M. Daniel.

Cette proposition est ensuite mise aux voix :

M. Séguy motive son vote en ces termes : "Considérant que M. Magne a rendu de grands et d'incontestables services à la ville de Périgueux, je vote pour le maintien de l'inscription qui porte son nom."

Ont voté pour la proposition de M. Daniel : MM. Martin, Labat, Roger, Regnier, Murat, Daniel, Négrier, Clerveaux, Villotte, Laurière, Puypeyroux, Lenoir, Coulomb, Laborie, Buisson.

Ont voté contre : MM. Séguy, Batailh, Bouillon, Dumazeaud, Gadaud.

Monsieur le Maire propose au conseil de donner à la rue supprimée par ce vote le nom de : "Rue de la République". Cette proposition mise aux voix est acceptée."

Note du site : de façon tout à fait exceptionnelle et qui montre bien que la volonté était délibérée d'instaurer une rue de la République, la rue en question a fait l'objet d'une plaque reproduite ci dessous et portant trace de la délibération du 17 novembre 1870.

Pour replacer le débat dans son contexte, il faut se souvenir que l'Empire avait été renversé le 4 septembre 1870. Depuis, il existe à Périgueux une rue du 4 septembre, et une rue Antoine Gadaud, qui était le Maire présidant la séance du conseil municipal.

"Laissons à l'histoire le soin de juger les actes politiques et la vie de M. Magne; elle saura mieux que nous apprécier à leur juste valeur les services qu'il a rendus à son pays", avait dit M. Négrier. L'histoire étant friande de retournements de situation, la rue Pierre Magne débaptisée près de la mairie a été réhabilitée dans la voirie communale 63 ans plus tard, cette fois ci dans sa rue natale.

La brochure "Périgueux de A à Z" d'Alberte Sadouillet-Perrin, nous dit que Pierre Magne avait largement fait profiter la ville natale de son crédit. Notamment par la restauration de la cathédrale St Front et la construction de la nouvelle préfecture sur les allées de Tourny. Ecarté de la vie publique après la chute du Second Empire, il mourut en 1879 au château de Montaigne qu'il avait acquis et fait restaurer.

Pour clore l'histoire ou tout du moins l'amener aux temps présents, la municipalité de Périgueux vient de compléter de façon importante les plaques manquantes dans ses rues. Parmi les plaques rajoutées, l'une concerne fort à propos Pierre Magne, et s'accompagne d'une légende rendant hommage à cet homme public controversé de son vivant.

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