Rue des Plaques Fraîches

Cette rubrique ne requièrera pas de base de données pour suivre les localités qui aujourd'hui dépourvues de plaques de rues décideront de rejoindre les agglomérations aux voies précisément dénommées.

L'absence de plaques de rues dans une localité fait très peu parler. Les habitants ont des repères ancestraux et dans un village stable il est bien rare que le baptême des voies ouvertes à la circulation s'accomplisse sous la pression populaire. C'est d'ailleurs aussi une tactique des communes de banlieue, moins il y a de signalisation et moins il y a de trafic routier, les non résidents n'étant pas en mesure de se diriger efficacement !

La Rue des Plaques Fraiches n'a qu'un seul exemple pour démarrer la rubrique. Mais quel exemple ! La commune de St Pierre d'Aurillac en Gironde a rendu public le 17 avril 2002 son intention de donner un nom à ses rues, et de les numéroter. La presse s'est unanimement emparée de l'affaire. La mairie a eu l'amabilité de me communiquer une copie des articles en sa possession étant passée d'une résistance de plusieurs siècles à une parfaite coopération. Non seulement des rues ont été baptisées, mais la commune a réalisé une opération de relations publiques, et habilement attiré l'attention sur la fin de son particularisme. Décidée à entrée de plain pied dans le 21ème siècle cette bourgade de 1200 habitants dispose même d'une adresse internet : commune-de-st-pierre-daurillac@wanadoo.fr.
Les titres de la presse :

"Les 400 foyers de St Pierre d'Aurillac vont avoir une adresse postale pour la première fois de leur histoire" La liberté de l'Est, 18 avril 2002.

"Des noms pour les rues du village Girondin" Ouest France, 18 avril 2002.

"Aquitaine : le village de St Pierre d'Aurillac en Gironde qui était dépourvu de noms depuis la Révolution va mettre fin à cette situation." Le Monde, samedi 20 avril 2002.

"Curiosité : le village aux rues sans noms. Cette particularité faisait la fierté des 1200 villageois." L'Express, 2 mai 2002.

La décision de nommer les rues avait été prise par un des premiers conseils municipaux en l'an II après la Révolution Française mais n'avait jamais été appliqué : "à cause de l'esprit rebelle des habitants", selon Michel Hilaire, le maire communiste du village. (La Liberté de l'Est)

Le bulletin de la commune "Village info" précise : "An II : nomination d'un citoyen pour numéroter les maisons.
Le conseil général de la commune d'Aurillac sur Garonne (notez au passage que la commune a changé de nom !), assemblé dans la maison commune, vu l'extrait des registres du conseil général du district de Cadillac du 19 prairial, lu et publié le 4ème Messidor dernier, lequel prescrit à toutes les municipalités du district de donner à toutes les places publiques, rues et carrefours un nom près des événements et des choses les plus remarquables de la République (vous noterez plus loin que si des noms ont bien été choisis deux siècles plus tard, ils ont peu de choses à voir avec la République !). Le nom donné sera inscrit en gros caractères au coin des dites places et rues, faisant également numéroter les maisons de tous les citoyens, et aucun citoyen ne pourra se rendre suspect de refuser à cette mesure de police.
En conséquence, le conseil arrête, ouï l'Agent National, que conformément au dit arrêté, et pour se conformer à icelui, chaque maison de la présente Commune sera numérotée, qu'à cet effet les propriétaires d'icelles sont invités à payer à celui qui fera l'ouvrage 5 sous par numéro. La liberté sera laissée à chaque citoyen de se numéroter eux mêmes dans les délais de 24 heures après que l'entreprise aura numéroté celles de son voisin."

Cet encart publié, suivent un rappel des faits récents et des conseils pratiques : "Dans sa séance du 9 novembre 2001, le conseil municipal a adopté les propositions de la commission. Une seule modification a été apportée : la route de Pichelou devient la route de Jean Redon.

Transparent, le coût de l'opération a été chiffré à 5000 euros.

La dénomination des voies est donc la suivante :

Rue de la Mane
Rue des Coopératives
Rue de la Gare
Route de la Plaine
Route de Gaillard
Route de Jean Redon
Route de Samaran
Route de Larrieu
Chemin de Honsat
Route de St André
Route de la Magdeleine
Route de Mounissens
Route de Fouques
Chemin de Gaillardet
Route de Douat
Avenue de la Libération (RN 113)
Route des Bords de Garonne
Rue du Port
Chemin du Bac
Chemin des Crespignans
Route de Baricoutet
Route de la Penote

Soit 22 voies (alors que l'Express en annonçait 30) qui se répartissent en 13 routes, 4 chemins, une avenue, et seulement 4 rues.

Si des Visiteurs de Gironde pouvaient capturer quelques plaques pour ruedesrues, elles seraient les bienvenues :-)

A la suite du courrier adressé à l'ensemble des habitants, la commission a retenu, à l'exception de la Route de Pichelou toutes les propositions ou remarques qui lui ont été notifiées. Le bulletin précise aux administrés :

Cette liste et ce plan seront aussi distribués aux services de la DDE, aux pompiers, à la gendarmerie, au bureau de Poste et au service gestionnaire des réseaux (eau, électricité...). Pour notifier votre changement d'adresse, nous vous encourageons à conserver le nom de votre lieu-dit (les habitants paraissant très attachés au nom de leur quartier ou de leur lieu-dit) suivi du numéro et de la rue.
La municipalité procurera les numéros et plaques qui seront posés par le personnel communal après qu'il vous ait contacté. Après la première pose, chaque famille aura la possibilité de changer la plaque de son numéro à ses frais.

C'est l'article de l'Express qui rend le plus vivant ce moment d'histoire : "[...] Plus de deux siècles après le décret du 19 prairial de l'an II (7 juin 1794), imposant de nommer toutes les rues du département, des plaques bleues ont fleuri sur les murs de la commune rebelle : "On se repérait très bien comme ça" peste un habitant. Seulement voilà : les livreurs occasionnels, les visiteurs d'un jour ou les facteurs remplaçants, eux, s'en plaignaient. Ironie de l'histoire, cet anonymat des rues résultait justement d'une stratégie politique liée à la Poste. L'ancien maire communiste refusait de nommer les rues pour préserver l'emploi des facteurs titulaires : seuls capables d'identifier les foyers, ils étaient ainsi irremplaçables. "Autrefois, tout le monde se connaissait. Mais il y a eu de nouveaux arrivants, commente l'adjoint au maire responsable du projet. Cette résistance ne pouvait pas durer." Adieu donc les : repères approximatifs, les "Monsieur Machin ? Il est du côté du bourg...". [...] aux facteurs maintenant de s'y retrouver !

L'article constate aussi ce qui m'a été confirmé par la secrétaire de mairie, à savoir que les habitants de St Pierre d'Aurillac n'ont toujours pas de nom ! Ils ne figureront donc pas (pour le moment) dans le Gentilé des Communes...